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Les jumeaux numériques dans l'industrie automobile : entretien avec PTC

26 novembre 2024

Comment les jumeaux numériques améliorent-ils les opérations, la conception et les processus décisionnels grâce aux données en temps réel ?

Le jumeau numérique est une réplique virtuelle d'un bien physique. Il utilise des données et des modèles du monde réel pour optimiser son fonctionnement et orienter les décisions. En fusionnant la data avec des modèles d’ingénierie, de simulation et de machine learning, le jumeau numérique livre de précieuses informations sur la performance et le comportement des actifs physiques. Dans l’industrie automobile, il ouvre une ère de clairvoyance.

Avec la numérisation croissante des véhicules, l’usage des jumeaux numériques devrait s’étendre, entraînant ainsi la transformation des paradigmes de conception, de production et de maintenance. De là viendra une industrie à la fois plus efficace et plus fiable. Cependant, pour embrasser pleinement ces avancées, il faut impérativement considérer la sécurité fonctionnelle et la cybersécurité comme les piliers d’un écosystème automobile numérique sécurisé. Une fois ces défis relevés, les jumeaux numériques dévoileront tout leur potentiel au sein de ce secteur en mutation perpétuelle.

Pour explorer cette révolution, S&P Global Mobility s’est entretenu avec les leaders du domaine, dont IBM, Ansys, ABB, rFpro, Digiflec et PTC. Ces acteurs, à l’avant-garde des transformations techniques et architecturales, ont accepté de partager leurs prévisions quant à l’avenir des jumeaux numériques.

Michele Del Mondo, conseiller mondial pour l'automobile au sein de la division Excellence commerciale de PTC, nous a accompagnés dans cette enquête. Avec son expertise unique, PTC se positionne comme un acteur clé dans l’industrie automobile qui exploite les technologies des jumeaux numériques pour redéfinir le développement et la gestion des produits. Ses solutions permettent la création de répliques virtuelles qui facilitent l'analyse des données et la simulation en temps réel.

Le texte qui suit transcrit notre conversation.

S&P Global Mobility : Quels sont les cas d'utilisation du jumeau numérique les plus prometteurs dans le secteur automobile ?

Michele Del Mondo : Si vous le voulez bien, il est important de préciser que nous nous focalisons ici sur le jumeau numérique du produit, en écartant les aspects liés aux jumeaux numériques de fabrication ou de processus. Dans ce cadre, le jumeau numérique présente effectivement plusieurs avantages.

D’abord, une prise de décision facilitée dès les premières phases de conception. Les choix deviennent plus agiles, plus précis. On peut ajouter ou modifier rapidement des composants, tester différents matériaux ou simuler diverses configurations, le tout dans un environnement numérique. Cette méthode réduit les coûts liés aux prototypes physiques, accélère les délais de mise sur le marché et soutient des objectifs aussi cruciaux que l’efficacité énergétique ou la durabilité.

En exploitant la puissance quasiment illimitée du cloud, le jumeau numérique permet de simuler et de tester les performances d’un véhicule dans une multitude de contextes. Un atout pour le développement des véhicules autonomes, où l’interaction complexe entre les logiciels embarqués et les composants physiques joue un rôle central. Cette technologie répond d’ailleurs à la demande croissante de véhicules pilotés par les logiciels (software-defined vehicles), tout en facilitant les tests de conformité, de sécurité et de qualité.

Le recours aux jumeaux numériques marque une transition significative : l’ingénierie s’appuie désormais sur des données concrètes plutôt que sur l’expérience. Le gain en termes de rigueur ou de capacités prédictives est considérable.

Enfin, mais ce n’est pas anodin, l’expérience client est, elle aussi, nettement améliorée grâce aux services personnalisés qu’offre le jumeau numérique. En intégrant des données en temps réel sur l’utilisation des produits, le jumeau numérique ouvre la voie aux services personnalisés. Il peut prédire d’éventuels problèmes, alerter les conducteurs et recommander une maintenance préventive. Vous vous en doutez : cette personnalisation favorise la satisfaction, donc la fidélité à la marque.

Quelles sont vos recommandations pour qu’un équipementier implémente efficacement la technologie des jumeaux numériques ?

Il est crucial de maîtriser et d’intégrer les piliers de son architecture. Le processus débute par un produit physique réel, auquel correspond une représentation numérique détaillée en 3D. Ce modèle virtuel, extrêmement précis, englobe les modèles d’ingénierie système et les logiciels embarqués requis pour piloter les mécanismes internes. Enfin, une connexion permanente est ainsi établie entre le monde réel et le monde virtuel.

L’architecture d’un jumeau numérique peut être perçue comme un système intégré basé sur la continuité numérique et composé de 3 couches :

    1. La couche de base comprend diverses sources de données (CAD, PLM, de gestion du cycle de vie des logiciels/applications/ALM, de simulations, ERP…) et l'infrastructure des systèmes connectés.
    2. La couche d'intégration et d'orchestration génère un modèle virtuel du véhicule en exploitant et en corrélant les données de la couche de base, offrant ainsi des fonctionnalités d'analyse approfondie.
    3. La couche d'engagement qui désigne les données situées au niveau de l’interface utilisateur et permet d'interagir avec le jumeau numérique.

Un mot sur les principaux défis liés à l’implémentation ?

Les investissements nécessaires à la mise en œuvre d’un jumeau numérique étant conséquents, il est indispensable de déterminer au préalable le niveau de précision requis et les fonctionnalités attendues du jumeau numérique. Ces choix doivent être justifiés par les applications visées et les bénéfices attendus.

Outre ces questions stratégiques, les défis techniques sont souvent liés au caractère isolé des systèmes et processus existants, limitant ainsi leur interopérabilité d’interconnectivité. Une gestion rigoureuse des données, ainsi qu’une attention particulière portée aux aspects de sécurité et de confidentialité, sont indispensables pour exploiter pleinement cette technologie.

Comment la structure tarifaire est-elle établie ? Est-elle basée sur la complexité du scénario, la quantité de data, la précision des données synthétiques… ?

Il est difficile de répondre à cette question. En effet, chaque entreprise présente un environnement informatique singulier. La complexité du scénario a certes un impact, mais, comme je vous le disais, le principal facteur de coût reste la gestion et l’intégration des données. Du point de vue financier, les entreprises ayant déjà engagé une continuité numérique seront vraisemblablement avantagées lorsqu’il s’agira d’implémenter un scénario de jumeau numérique.

Pour faire simple, les tarifs pour les applications d’ingénierie produits peuvent être établis sur une base par utilisateur, tandis que les scénarios axés sur les services seront davantage liés à une base par actif. Les coûts supplémentaires liés à la mise en œuvre dépendent souvent des cas d’usage intégrés et des personnalisations requises.

Quelle est la nouvelle norme en matière de durée de développement des véhicules, une fois la conception validée jusqu’à la production ?

Autrefois, la durée moyenne de développement d’un véhicule était d’environ 60 à 72 mois. Aujourd’hui, les constructeurs automobiles chinois affirment pouvoir développer un véhicule complet en 28 mois. Compte tenu des démarches d’homologation qui se complexifient, le délai raisonnable oscille désormais entre 40 et 32 mois, peut-être moins. Même si la conception a été validée en amont, l’objectif reste de favoriser la rapidité et le travail en simultané dans le développement. À mesure que les délais continuent de se réduire, on envisage même d’apporter certaines modifications de conception en cours de production.

Dans l’industrie automobile, les jumeaux numériques sont-ils principalement dédiés à l’infodivertissement et aux systèmes avancés d’assistance à la conduite (ADAS) ? Ou faut-il s’attendre à des avancées significatives dans d’autres domaines ? Je songe au groupe moteur, au châssis ou à la carrosserie.

En effet, la technologie des jumeaux peut être appliquée à tout composant ou système offrant une valeur significative. Par exemple, elle encourage de nouveaux scénarios de simulation avec différentes formes de carrosserie pour optimiser la résistance aérodynamique du véhicule. Autre exemple : l’optimisation du comportement du moteur et du châssis, en fonction de divers scénarios de conduite basés sur des données d’utilisation en temps réel. Il est vrai que les domaines les plus caractéristiques restent autour des commandes du véhicule, mais il faut aussi considérer les niveaux inférieurs des sous-systèmes, tels que le freinage, la conduite par câble, les commandes du moteur, etc.

Quid de la durabilité des jumeaux numériques par rapport au développement physique traditionnel ? Des mesures sont-elles prises pour minimiser l'empreinte carbone de cette technologie ?

Numériser une grande partie du cycle de développement favorise naturellement la réduction de l’empreinte carbone. En remplaçant les tests physiques par des simulations virtuelles, on diminue non seulement le besoin en ressources matérielles, mais aussi les coûts associés à l’acquisition, à la logistique et à la maintenance des équipements de test. Cette approche s’inscrit dans une démarche d’optimisation numérique.

Cependant, grâce aux jumeaux numériques, il devient plus simple d'intégrer des critères de durabilité à chaque étape du développement produit. Dès la conception, des outils numériques permettent de sélectionner des matériaux présentant le meilleur bilan carbone, répondant à des critères spécifiques. Cette démarche durable se poursuit en phase de fabrication, où sont privilégiées des technologies moins énergivores et produisant moins de déchets, ainsi qu’en logistique, avec l’optimisation de la chaîne d'approvisionnement. Clairement, les jumeaux numériques participent de la réduction des émissions de CO2.

Comment les équipementiers et les fournisseurs parviendront-ils à assurer la différenciation de leurs marques et le maintien du prestige sur un marché où les jumeaux numériques pourraient homogénéiser les véhicules ?

Je ne pense pas que les jumeaux numériques puissent conduire à cette homogénéisation. Les marques se différencient par bien d’autres critères que l'assemblage de pièces automobiles pour produire un véhicule. Par exemple, une même boîte de vitesses automatique peut être équipée de paramètres logiciels distincts, ce qui se traduit par des expériences de conduite totalement différentes. BMW, par exemple, installe la même boîte de vitesses automatique dans la Série 3 et la Série 5, mais les réglages spécifiques de la Série 3 offre une sensation de conduite beaucoup plus sportive. De même, l’emblématique Porsche 911 conserve son identité et son capital de marque, indépendamment de l’utilisation de la technologie des jumeaux numériques. L’essence et les caractéristiques distinctives d’une marque comme Porsche seront préservées.

Quant aux fournisseurs, ils peuvent optimiser leur offre produits en proposant des composants mécaniques standardisés, tels que les boîtes de vitesses ou les airbags, tout en les adaptant aux spécifications techniques de chaque équipementier. Cette approche favorise la rentabilité des fournisseurs et permet aux équipementiers de réaliser des économies d’échelle significatives.

Quelle partie des processus de conception, de test et de validation s'appuie sur les modèles de jumeaux numériques ?

Tant que les processus d'homologation des véhicules exigeront des tests physiques, les prototypes physiques seront incontournables. Cependant, avec l’avènement des véhicules définis avec une architecture logicielle (SDV - Software Defined Vehicle) et l’intégration croissante des systèmes ADAS, on assiste déjà à une transition notable des essais et de la validation physiques vers leurs équivalents basés sur les jumeaux numériques. Pour réduire encore les coûts de développement et accélérer la mise sur le marché, les jumeaux numériques sont incontestablement précieux. Cet intérêt ne cesse de croître, surtout à mesure que l’on passe d’une maintenance annuelle des configurations à la possibilité de mises à jour à distance, y compris pour des fonctionnalités critiques liées à la sécurité. Un nombre élevé de tests virtuels deviennent alors nécessaires pour valider les résultats attendus.

Sur quel aspect des jumeaux numériques voudriez-vous attirer l’attention des professionnels de l'industrie automobile ?

C’est une approche holistique et continue qui nécessite un investissement initial pour établir les bases indispensables de l’architecture requise. Cette dernière doit être évolutive, flexible et aisément adaptable aux conditions changeantes du marché, ainsi qu’aux exigences des clients.

Enfin, quel conseil donneriez-vous à ceux qui hésitent à adopter les jumeaux numériques ?

L’industrie automobile est confrontée à une concurrence accrue, notamment de la part de nouveaux entrants qui diversifient l’offre pour répondre aux enjeux de mobilité durable, tels que la propulsion électrique ou hydrogène. Certains de ces nouveaux acteurs, qui partent d’une page vierge, sont libérés des contraintes des systèmes hérités. Conséquence : ils sont en mesure de déployer des jumeaux numériques beaucoup plus rapidement que les constructeurs traditionnels, ce qui leur confère un avantage compétitif significatif.

Ensuite, pour les équipementiers, l’orientation client est un facteur clé de succès, en particulier lorsque le produit de haute qualité est perçu comme un bien de consommation courante. L’absence de connectivité d’un véhicule limite considérablement la possibilité d’analyser les données en temps réel et de proposer des services personnalisés répondant aux attentes des clients. Cette situation handicape également le développement des futurs modèles de véhicules.

Michele Del Mondo Michele Del Mondo, Senior Director, Global Advisor Automotive, PTC, has worked in the automotive industry for over 25 years. He is currently responsible for the market and business development of the mobility division, which includes the automotive industry. He combines his automotive knowledge with the latest technology to support PTC's customers in the automotive industry in their digital transformation.

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