Les ingénieurs d'OX Delivers ont fait mouche avec un véhicule électrique à destination des pays en voie de développement. Une approche itérative de prototypage rapide a fait naître ce projet de “Uber pour les pommes de terre”, comme l’explique Stephen Holmes. Acheminer sa récolte vers le marché peut être une véritable épreuve pour l’agriculteur rwandais. Certes, cette contrée enclavée dans la vallée du Rift est fertile, mais ce n’est pas sans raison qu’on la surnomme “pays des mille collines”. Les transports motorisés font face à toute une somme d’obstacles : de fortes pentes, donc, mais aussi de lourdes inondations et des glissements de terrain durant les deux saisons annuelles des pluies et des routes en mauvais état puisque moins de 20 % d’entre elles sont asphaltées. Kristiana Hamilton, l’un des 14 membres de l’équipe de conception et d’ingénierie d’OX Delivers, le confesse en riant : "Les routes rwandaises sont bien pires que ce que nous avions envisagé".
Tout commence en 2013 lorsque le philanthrope Sir Torquil Norman et l'organisation caritative Global Vehicle Trust (GVT) se concertent. Il s’agit alors de penser un système fiable pour le transport de marchandises spécialement adapté au continent africain.
Le continent importe, des quatre coins du monde, beaucoup de camions en fin de vie. Seulement, usés par l’âge et les terrains accidentés qu’il leur faut négocier, ils s’avèrent rapidement trop coûteux en carburant et en entretien pour les utilisateurs des marchés locaux. Autres solutions pour transporter les marchandises : les bicyclettes, les personnes ou les animaux. Mais elles se révèlent trop lentes et les charges transportées sont trop faibles pour permettre la création d’entreprises prospères. C’est ainsi que perdurent les difficultés liées aux faibles revenus, aux chaînes de valeur inefficaces et au gaspillage alimentaire.
La réponse de GVT a été de confier au célèbre designer automobile sud-africain et britannique, Sir Gordon Murray, la conception d’un camion baptisé OX. Quatre prototypes diesel ont ainsi été construits sous la forme innovante de produits livrés en kit, constitués de panneaux stratifiés collés sur des châssis en acier.
C’est en 2020 que la start-up automobile OX Delivers sera créée avec l’idée de développer un business model évolutif pour soutenir la transition du camion OX destiné aux marchés émergents vers un véhicule électrique. Projet qui fut financièrement soutenu, entres autres, par l'US AID, Innovate UK et l'Advanced Propulsion Centre. Il s’agissait de permettre aux agriculteurs la location d’un espace sur un camion OX afin d’acheminer leurs productions jusqu’au marché. Un projet pilote est en cours au Rwanda. Le choix de ce pays s’explique par sa position centrale au sein du continent, la multiplicité de petites entreprises qu’il abrite et son appétence avant-gardiste en matière de nouvelles technologies. Le pays dispose également d'un réseau électrique convenable (principalement alimenté par l'hydroélectricité et l'énergie solaire), une nécessité pour le développement de véhicules électriques.
OX Delivers // Terrains accidentés
À l’image des routes rwandaises, le chemin vers la mise sur le marché de la version électrique du camion OX fut escarpé. Le défi ne consistait pas juste à remplacer un moteur thermique par un moteur électrique. Une grande partie de la conception originale de Murray a dû être retravaillée. OX1, la version intégralement électrique de l'un des camions diesel d'origine, a été expédiée au Rwanda afin de la tester en conditions réelles et d’obtenir un retour d’expérience.
Mais, dès son arrivée, il s’est avéré que la position de conduite centrale, chère à Gordon Murray pour ses supercars, n'était pas autorisée sur les routes du pays. “Il a fallu passer d’une conduite centrale à une conduite à gauche”, explique Kristiana Hamilton, en énumérant une liste de changements que l'équipe a dû évaluer, redessiner et opérer. Sur les routes accidentées, la banquette d'origine n'offrait aucun soutien aux conducteurs et son manque de réglage rendait la conduite très inconfortable. "La population rwandaise est relativement petite. Si vous ne pouvez pas avancer la banquette, votre dos manque de soutien et votre position est mal adaptée. Tout cela a donc été modifié".
De nombreux ajustements ont été opérés sur le véhicule d’origine pour prendre en compte les différents paramètres liés au transport de charges lourdes dans des conditions difficiles. Pour autant, la transformation fut rapide, l'équipe d'OX ayant été mise en place en mode ‘fail fast’. En d'autres termes, elle a travaillé de manière itérative ce qui consiste à identifier les points faibles ou inappropriés du véhicule, apporter des améliorations, tester, recommencer jusqu'au résultat espéré.
Début 2022, l'équipe se réunit afin d’analyser les difficultés, les retours, et définir ainsi ce qui devait être au cœur du camion OX. "Nous avons tout mis à plat – et hiérarchiser les éléments prioritaires comme la conduite sur route, la qualité des suspensions, etc.- et avons pu catégoriser les opérations". Après réflexions en petits groupes distincts, l’équipe s’est réunie pour optimiser le travail de chaque unité et établir une feuille de route commune.
Bien que le châssis d’origine fut relativement robuste, des tests sur le terrain rwandais ont révélé certains problèmes, notamment des fissures. Le châssis, note Hamilton, n'a pas été conçu pour permettre des réparations rapides. Une épine dans le business model d'OX Delivers, puisque l'entreprise exploitera et assurera l’entretien elle-même les camions. Leur durée de vie est essentielle.
“Nous passons actuellement par une itération du châssis et nous travaillons progressivement l'ensemble pour qu'il convienne mieux au marché et puisse être facilement réparé”, explique-t-elle. “En plus d’être durable, nous savons qu’il sera produit avec des matériaux disponibles sur le marché, et c’est une question centrale.” La conception originale du caisson en acier convenait bien - jusqu'à ce qu’il faille effectuer des réparations dans un pays où l’on ne trouve que des tôles pliées. Il est alors difficile de remplacer un caisson complet, aussi solide que nécessaire.
“Nous travaillons dans un environnement agile, avec des sprints de deux semaines. Si nous découvrons un dysfonctionnement durant ces périodes, nous pouvons très facilement changer de direction", dit-elle. "Il s’agit d'être aussi flexibles que possible."
Cette approche agile de la conception a été guidée par les retours de l'équipe d'OX qui utilise des véhicules au Rwanda. La cabine d’origine, problématique, a été redessinée. Une unité de conduite électronique (EDU) a été développée avec Dana, société experte en moteurs électriques, et l'architecture du véhicule est passée d'une traction avant inefficace à une propulsion arrière plus puissante. S’y ajoute la possibilité de s'adapter à une transmission intégrale pour faire face à la rudesse du terrain. L'équipe chargée du groupe motopropulseur a conçu de nouveaux supports pour cette EDU. Elle a pu le faire en donnant vie à leurs idées dans Onshape et en les testant dans Onshape Simulation. Plusieurs itérations ont été faites avant de lancer la fabrication des prototypes physiques. “Ce cadre agile favorise une avancée que nous voulons rapide”, déclare Kristiana Hamilton.
OX Delivers // toujours plus loin
La fluidité repose sur un parti pris d’OX Delivers : l’équipe de conception apporte son expertise aux différents groupes de travail, chacun investi dans un aspect particulier du développement de ce camion. Kristiana Hamilton indique qu’elle a récemment travaillé sur la suspension, la direction, le châssis, et qu'elle s'occupera prochainement de l'amélioration de la cabine.
Puisque chaque acteur du projet doit pouvoir accéder aux dernières versions des données de CAO, l'utilisation d'Onshape, basé sur le cloud, faisait figure d’évidence. “En tant que startup, nous ne pouvons pas raisonnablement nous permettre d'avoir des serveurs pour stocker toutes nos données, et Onshape nous offrait une facilité d’accès”. Elle loue aussi la facilité de prise en main d’Onshape. “La solution est incroyablement intuitive et je pense que c’est un atout formidable. Nous avons une grande diversité d’ingénieurs au sein de l’équipe et, bien que leurs compétences diffèrent, beaucoup sont amenés d’utiliser la CAO”.
Prenons un exemple. L’équipe comprend un expert en suspension qui travaille sur l’aspect cinématique. “Il a trouvé comment travailler avec Onshape et le résultat est épatant. Cela nous a permis de comprendre notre suspension, mais pas seulement. Nous avons mieux appréhendé la conception dans l’ensemble. Malgré son scepticisme en matière de modélisation CAO, il a pleinement exploité Onshape grâce à la simplicité de prise en main”. “J’ajoute que le service clientèle est incroyable. Le contact est direct et, en cas de difficulté, son soutien est véritable”.
Les fonctionnalités personnalisées sont clairement l'un des atouts majeurs d'Onshape. Celles-ci sont créées par la communauté élargie d'Onshape dans le code natif d'Onshape et viennent enrichir la librairie standard d’Onshape. Elles offrent à l'équipe OX un moyen de trouver facilement des scripts de fonctionnalités et des outils pour relever des défis pour lesquels le logiciel pourrait ne pas avoir une réponse immédiate.
"Nous avons commencé à utiliser cette ressource beaucoup plus récemment", dit-elle. "Même si Onshape n'a pas la fonctionnalité souhaitée dans sa version standard, vous pouvez la trouver dans la bibliothéque de fonctions personalisées. Cela a été vraiment intéressant ces derniers temps, de voir comment nous pouvons exploiter au maximum les possibilités et les différents outils du logiciel.“
OX entretient d’étroits partenariats, notamment les équipementiers de transport Dana, Penso et Potenza. Ces derniers contribuent à la conception des camions et testent même certains prototypes et systèmes sur les unités d'essai physiques d'OX. Il est indispensable que chaque acteur puisse, autant que possible, travailler avec les dernières données de CAO. Et, ce, même si les principaux équipementiers ont tendance à travailler avec Catia ou NX, pour lesquels l’équipe OX s’appuie généralement sur l’importation de fichiers STEP dans Onshape.
Penso est même allé plus loin : au vu du coût très accessible et de la facilité d’accès d’Onshape, il a chargé deux de ses ingénieurs de modéliser des fichiers à partir de leur format Catia natif directement dans Onshape. L'équipe de Penso s’est formée à Onshape, mais aussi à la manière dont OX gère sa structure CAO. De quoi accélérer l’intégration des modèles, quelle que soit leur complexité.
Le modèle CAO du camion existant est divisé en trois ensembles : la cabine, la base et le groupe motopropulseur, à leur tour subdivisés en sous-sections. Toutefois, l’équipe a récemment cherché à réorganiser le modèle CAO en quatre nouveaux ensembles : la cabine, la section avant, la section centrale avec le groupe motopropulseur et, enfin, la section arrière.
“Cela autorise une approche modulaire et des essais pour chaque ensemble. Nous n’avons pas affaire à un véhicule traditionnel, avec l’ensemble du châssis intégré. Ces sous-ensembles se connectent les uns aux autres et permettent de faire des tests en ciblant des zones spécifiques. On se dispense ainsi d’avoir à concevoir un camion complet pour mener les tests".
L’équipe confie certains travaux de simulation à des partenaires et à des spécialistes pour des scénarios spécifiques, tels que les essais de collision. En divisant la conception, elle l’accélère.
Livraison en ligne
L'utilisation d'un système basé sur le cloud signifie aussi que les membres de l'équipe au Rwanda peuvent accéder aux données les plus récentes, les mettre à jour et rester au plus proche du processus.
L’un des membres de l’équipe britannique, désormais basé au Rwanda, recueille de nombreuses données terrain : retours d'information en temps réel sur les différents cycles de fonctionnement, informations sur les problèmes repérés lors de l’entretien. Il a également accès au modèle CAO, et peut ainsi travailler sur les modèles de conception. L'équipe rwandaise comprend aussi un concepteur qui travaille à l’optimisation du stockage des marchandises à l’arrière du camion. C’est une tâche cruciale, car il faut s’assurer que l’auvent arrière est de taille adéquate et équipé des bons outils, à commencer par une balance pour éviter que les usagers ne surchargent pas le camion. Les concepteurs et ingénieurs britanniques se rendent régulièrement au Rwanda pour mieux appréhender les besoins, les spécificités du marché, et cerner les attentes des clients.
De leur côté, les mécaniciens de l’équipe rwandaise se rendent au Royaume-Uni pour suivre une formation nécessaire à l’entretien et à la maintenance des véhicules électriques. Ces déplacements fluidifient considérablement l’échange et le partage des connaissances.
Une fois que l'équipe aura mis au point le modèle de production, celui-ci sera livré démonté. Les camions seront donc fabriqués au Royaume-Uni, puis expédiés en kit avant d’être assemblés par l’équipe d’OX au Rwanda. Une publication de guides de formation à l’assemblage, exploitant les données CAO, est en cours de réflexion.
Bientôt, on l'espère, un réseau entier de camions OX assurera le transport des produits et marchandises à travers les collines du Rwanda, avant que l'entreprise n’étende sa portée au-delà des frontières, dans les pays voisins. Dans le même temps, OX contribuera à l’augmentation des revenus de ses utilisateurs grâce à une conception adaptée qui favorise la mobilité électrique et soutient les économies locales. Deux saisons des pluies annuelles ne parviendront pas à atténuer la promesse d'un avenir meilleur pour les agriculteurs du pays.
Accélérer l'innovation produit dans le Cloud
La plateforme de développement de produits dans le cloud d'Onshape offre une expérience plus agile et plus collaborative avec la CAO, la simulation, le PDM intégré et le PLM connecté.
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